Maison centrale : le ministre de la Justice libère une quinzaine de détenus « oubliés »

Faut-il y voir un contre-feu ? C’est une éventualité à ne pas exclure. En tout cas, il y a une coïncidence quelque peu troublante. Alors que les autorités de la Transition ploient sous le poids de nombreuses dénonciations et condamnations consécutives à l’enlèvement et à la détention dans un lieu tenu secret des responsables du FNDC, Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Billo Bah, le ministre Garde des sceaux ont libéré ce mardi 23 juillet 2024, précisément 16 détenus ayant plus d’une dizaine d’années à la Maison centrale de Conakry. Occasion pour le ministre de la Justice et le Procureur général de faire valoir davantage le volet « droits humains » de leurs missions respectives.

S’il est compréhensible qu’à la suite d’un certain nombre d’infractions, une personne puisse être placée en détention provisoire, le procureur général près la Cour d’appel de Conakry, pour la circonstance, a souligné que le délai de cette période de détention demeure strictement borné par la loi. « Ce délai est fixé par le législateur dans le Code de procédure pénale guinéen. Lorsqu’il s’agit d’une infraction correctionnelle, le délai de détention provisoire ne doit pas aller au-delà de 4 mois renouvelable une seule fois. S’il s’agit d’une infraction criminelle, le délai de détention ne doit pas dépasser 6 mois renouvelable une seule fois. À quelques exceptions près, le délai peut aller au-delà de 12 mois, lorsqu’il s’agit des infractions relevant de la criminalité organisée, tels que les actes de terrorisme, et autres », a indiqué Fallou Doumbouya. Sauf que, a-t-il admis, la pratique est toute autre : « Nous constatons qu’il y des personnes qui sont détenues à la Maison centrale de Conakry et certains centres de détention du ressort de la Cour d’appel de Conakry au-delà de ces délais légaux. Certaines sont détenues pendant 2 ans, 5 ans, 10 ans, 15 ans et 16 ans et n’ont jamais comparu devant un juge ».

Il a reconnu par ailleurs que le fait de détenir les gens au-delà des limites légales constitue une violation de plusieurs instruments juridiques. « Cela porte atteinte à un certain nombre de principes notamment le Pacte international relatif aux droits civil et politique de 1966 que la Guinée a régulièrement ratifié, l’ensemble des règles minimales des Nations unies pour le traitement des détenues communément appelées les règles Mandela ; la Déclaration africaine des droits de l’homme ; l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Ces personnes sont victimes de beaucoup de préjudice, car cela porte atteinte à leur santé physique et mentale, ça les déshumanise et porte atteinte à l’image de notre nation et de la justice guinéenne. Vous n’êtes pas sans savoir que la justice pénale est la vitrine d’une justice d’un État », a-t-il déclaré.

« Lorsque nous avons pris fonction, nous nous sommes fixés des objectifs entre autres la lutte contre les détentions illégales que je pourrais qualifier de détention arbitraire parce que lorsqu’une personne est en détention au-delà du délai légal c’est de l’arbitraire. Nous avons fait le recensement de ces cas, alors nous avons décidé à travers des instructions que nous avons données aux parquets d’instance du ressort de la Cour d’appel de Conakry, en notre qualité de coordonnateur, de prendre des dispositions », a-t-il également souligné. Il se trouve, à l’en croire, dans certains cas, même les dossiers avaient disparu. « Alors, nous avons instruit aux parquets d’instance d’initier des procédures référées et sur le fondement de l’article préliminaire du Code de procédure pénale. À l’issue de ces procédures de référé, le juge a pris une décision et c’est cette décision qui a été exécutée aujourd’hui », a-t-il expliqué.En définitive, il a promis : « Ce n’est que le commencement. Nous allons étendre cette mesure aux juridictions du ressort de la Cour d’appel de Conakry ».

Quant à lui, le ministre de la Justice et des Droits de l’homme inscrit l’acte de ce mardi dans le cadre des engagements initiaux du président de la Transition, en faveur de la Justice. « Il faut se reporter un peu dans le temps. A la prise de responsabilité par le CNRD, à la tête le général du corps d’armés, Mamady Doumbouya, pour les toutes premières heures, la justice a été placée à l’avant de la scène en la qualifiant de boussole. C’est dans ce cadre qu’une feuille de route bien définie a été confiée au ministère de la justice, qui est en même temps, le ministère chargé de l’exécution de la politique judiciaire du gouvernement. Le ministère de la Justice n’est pas que ministère de la justice, mais il est également ministère des droits de l’homme. C’est dans ce cadre que, veillant aux respect rigoureux et absolu des droits de l’homme, dès ma prise de fonction, mon premier souci a été de voir la situation carcérale exacte de ceux de nos compatriotes qui sont en conflit avec la loi. Et à l’analyse, il s’est avéré qu’au sein de la population carcérale, il y a des détenus qui sont restés très longtemps en prison, sans être situés sur leur sort. Parce que quelque part, il faut le dire, il y avait eu des dysfonctionnements de l’appareil judiciaire. Des dossiers ont disparu, des prévenus sont là, que faire ? C’est ainsi que dans le souci du respect de droit de l’homme, il a été décidé au niveau du cabinet, et avec monsieur le procureur général près la Cour d’Appel de Conakry de nous pencher sur cette situation et d’y apporter une solution », a expliqué Yaya Kaïraba Kaba. Lui aussi a promis dans la foulée : « Ça ne va pas s’arrêter à la seule maison centrale de Conakry, et d’ailleurs l’œuvre va se poursuivre ici. Parce qu’il sera question d’examiner la situation des femmes, les situations éventuellement des mineurs, la situation des étrangers, etc. L’opération là s’étendra sur toute l’étendue du territoire national ».

Le ministre rassure néanmoins les parties notamment civiles qui auraient des prétentions. « Quand les dossiers sont perdus, il est difficile de situer toutes les parties concernées par le dossier. Les parties civiles éventuelles qui se reconnaîtraient à travers ces 16 détenus libérés, auront toute la latitude, parce qu’ils ne sont pas libérés comme ça. On peut les joindre à tout moment. Ils sont connus, les domiciles sont connus, les adresses sont connues. Donc, s’il y a des parties civiles qui ont des prétentions, elles se manifesteront et les juges se percherons là-dessus », a conclu le ministre.

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