AMERTUME ET DESESPOIR D’UN PEUPLE !


L’enthousiasme euphorique du 5 septembre 2021 aura été le point de départ de cette immense désillusion que connait aujourd’hui le peuple de Guinée. Rien qu’une simple déclaration a suffi à faire douter tout un peuple de son devenir. Des promesses, encore des promesses pour rallier à une cause perdue d’avance des populations débiles. Ils ont crié, acclamé, chanté et supporté l’avènement de celui qui allait restreindre leur liberté et faciliter leur descente en enfer. Malgré le stoïcisme et la résilience qui le caractérisent, le peuple de Guinée est aujourd’hui dans une réalité qu’il n’avait jamais connue auparavant. Même au temps fort de cheytane 75 la vie n’a pas été aussi acariâtre pour les guinéens.
C’est ce sentiment de désespoir qui anime les populations guinéennes qui se retrouvent face à une situation indéfinissable par son intensité qui les plonge dans un océan d’amertume. L’espoir est la seule chose qui permet à l’homme de vivre longtemps en s’attendant toujours à des lendemains meilleurs. Quand s’installe alors le désespoir la situation devient insoutenable, aucune issue ne s’offre car on est en face d’un horizon bouché. Le CNRD a promis monts et merveilles, le chef de la junte a dit vouloir singer Jerry Rawlings pour sa droiture et son sens élevé de patriotisme. Ce qui se dit sous l’euphorie de la prise du pouvoir, n’est pas ce qui se fait après la prise du pouvoir.
Des actes populistes ont été posés simultanément comme leurre pour piéger les populations. La libération des prisonniers politiques, la visite au cimetière de Bambeto, au stade du 28 septembre, la suppression des PA sur l’axe Bambeto-Cosa et l’organisation d’une concertation au niveau de toutes les couches sociales. Par naïveté et débilité le peuple a cru à toute cette farce pour accorder son crédit à ses pseudos faiseurs de paix à travers un soutien populaire d’une spontanéité indescriptible. « Nous allons faire l’amour à la Guinée même si cette métaphore est quelque peu impropre à notre culture, les guinéens l’ont accepté croyant qu’ils allaient bénéficier de l’attention particulière d’un amant pour sa dulcinée. La boussole sera le guide de toute notre action en vue de rétablir le guinéen dans son droit et le faire éviter l’injustice et les abus de pouvoir. Il n’y aura pas de chasse aux sorcières et aucun guinéen ne doit désormais mourir pour ses idées etc. ». Tout cela était de très bonnes intentions mais, comme on le dit souvent, l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions, l’acte n’a pas suivi la parole.
Si le 5 septembre 2021, des prisonniers ont été relâchés, il a suffi de quelques mois pour voir la prison se remplir d’autres guinéens qui ne savent pas jusque-là le véritable motif de leur séquestration. Au lieu de l’amour promis, on assiste à un viol éhonté de la Guinée à travers des mesures liberticides comme la restriction des libertés individuelles et collectives, la chasse aux sorcières et le gel des avoirs des anciens dignitaires et des personnalités respectables du pays. La boussole se serait-elle détraquée ? Cette question mérite d’être posée car, à l’allure où vont les choses, le pire est à craindre. La junte s’est fixé pour objectif de faire taire toute voix dissonante avec l’arrestation brutale et l’emprisonnement des journalistes, la suppression des médias à grande écoute, la restriction de l’internet qui sont les pratiques avérées de la dictature.
En Guinée, chaque fonctionnaire a derrière lui des dizaines voire des centaines de personnes qui vivent à ses dépens. Depuis toujours l’émergence d’un seul individu de la famille devient source d’espoir, il réussit tant bien que mal la redistribution de son avoir. Mais la junte dans l’esprit de casser toutes les velléités susceptibles de freiner sa marche dans son dessein, a procédé à la mise à la retraite sauvage des milliers de guinéens, rompant ainsi la chaine de solidarité sociale. La retraite est une nécessité de l’administration mais il faut l’appliquer rationnellement mais pas avec haine. Tous les généraux de l’armée ont été mis à la retraite anticipée, comme le ridicule ne tue pas, la junte s’arroge des distinctions azimuts de grades, des nouveaux généraux éclosent comme des herbes. Il faut mettre à la retraite tout en prévoyant le recrutement de nouveaux fonctionnaires. Combien sont-ils ces diplômés sans emploi qui ahanent à travers le pays, combien de jeunes s’offrent au spectacle inhumain du désert et aux dents de la mer ? Quand le chef de l’Etat a déclaré qu’il n’y a pas d’école d’expérience, cela a donné le départ à toutes formes de dérapages connus de l’administration guinéenne. Des nominations fantaisistes, de népotisme et de clientélisme ont fini par plonger l’administration dans un marasme total. Triste réalité pour un pays qui possède des cadres aguerris capables de faire le bon travail mais, on préfère la médiocrité à l’excellence.
Cette désillusion et cette amertume constituent le lot quotidien du guinéen qui n’arrive plus à comprendre les couleurs des fils sur son ouvrage. Depuis l’annonce faite par la junte qu’il n’y aura plus de morts pour les idées, plus d’une trentaine de jeunes guinéens a été froidement abattue par la gâchette facile des services de défense et de sécurité et jamais un auteur n’a été inquiété. Ceux qui sont ainsi morts n’ont aucun droit à la vie et ne méritent aucune justice, ils sont voués à l’oubli et à la négation. Pauvres de nous ! on se croirait dans une fatalité non, c’est peut-être une malédiction qui ne dit pas son nom. Un peuple nanti de richesses du sol et du sous-sol ne doit pas autant souffrir. Mais quand la richesse du pays ne profite qu’à quelques individus qui se croient bénis, seule la volonté populaire peut mettre un terme à cette injustice.
Le peuple fait face aujourd’hui à une véritable descente aux enfers avec la cherté de la vie, l’affolement du panier de la ménagère et l’explosion de l’indigence. Les foyers qui assurent le repas quotidien se comptent sur les doigts d’une main, la misère et la pauvreté sont devenues des attributs de souveraineté des guinéens. Les premiers mis en prison ont peut-être volé les fruits mais ceux qui ont été nommées par la junte ont arraché carrément la plante. Où allons-nous ? Quand les autres se développent avec les réalisations merveilleuses d’infrastructures d’utilité publique, le métro, les stades et autres, la Guinée se plait dans le bond en arrière, dans l’éternel recommencement comme la mer. Qu’avons-nous fait à la providence pour mériter un tel sort ? Le désespoir est profond car du fond de l’abime où se trouve le pays, aucune lueur d’espoir n’est perceptible. Le désarroi, d’un peuple décontenancé se mesure au degré du désespoir qu’il couve.
Quand on voit les voisins réaliser des prouesses sociales, politiques et infrastructurelles on est pris de tournis, au regard du chaos vers lequel l’on s’achemine inexorablement. Personne ne pouvait croire que le tristement célèbre maitre des injonctions serait cité dans un cas flagrant de malversations. Si le maitre des poursuites est lui-même poursuivi allez voir jusqu’où la nature humaine est insaisissable. Trois premiers ministres chef de gouvernement, quatre ministres garde des sceaux cela suffit comme preuve de l’incompétence ou de l’incompatibilité de ces ministres dans l’exercice de leur fonction, ou ils ne font pas ce que désire la junte ou ils en font plus que demandé. Les fanfaronnades de Charles Wright sont la preuve irréfutable de sa boulimie de pouvoir et son manque d’orthodoxie administrative.
Celui qui se contente des miettes qu’on lui offre ne pourra jamais revendiquer son droit. Dommage des individus peu vertueux se livrent à longueur de journée à confondre leur pseudo bonheur à celui du peuple en entier. Les routes sont nécessaires mais elles ne passent pas par la marmite, un sac vide ne saurait se tenir débout. Le peuple a faim, en ce mois béni de ramadan l’affolement des prix des denrées de grande consommation a décuplé le désespoir des populations qui ne savent plus à quel saint se vouer. La pénurie d’eau, le manque de courant électrique, la pauvreté et la précarité de la vie donnent un goût amer à cette transition. Les parvenus du pouvoir, ceux qui n’ont pas d’état d’âme à se nourrir dans les mains d’autrui se plaisent dans cette déconfiture. Mais tous ceux qui ont un esprit alerte, imaginent aujourd’hui la profondeur du gouffre vers lequel on se dirige.
Cette nouvelle équipe gouvernementale sera la copie certifiée conforme de la précédente. Elle évoluera et agira en fonction des injonctions de la junte, qui s’obstine à poser des actes que le peuple ne réclame point, dans le seul but d’une séduction. Mais la junte doit savoir que ni la baïonnette, ni les espèces sonnantes et trébuchantes, ni les infrastructures tirées par les cheveux ne peuvent attendrir un peuple affamé et déçu. Ousmane Sonko n’avait ni armes, ni argent mais, par la force de la vérité il a su se tailler une place honorable et respectable dans le cœur des sénégalais. Comme un seul homme le peuple sénégalais a réussi à mettre en déroute tout un système. Cette harmonie est le témoin d’une unité nationale qui a su résister au communautarisme et au clanisme.
Contrairement à la Guinée où on favorise la culture communautaire et la dérive ethnique, on divise pour régner afin de pouvoir exécuter les sales boulots. Une classe politique divisée caractérisée par l’égocentrisme et la servitude du pouvoir, les médiocres, les arrivistes et les parvenus en quête de position sociale font preuve d’immaturité et d’irresponsabilité. Les vrais représentants du peuple sont rejetés pour ne pas qu’ils freinent les ambitions néfastes de la junte. Mais aujourd’hui la vérité a jailli car bon nombre de ces partis saprophytes ont compris la duperie de la junte, qu’ils ont servi d’échafaud pour ces nouvelles autorités. « On peut tromper tout le peuple une partie du temps, tout le temps une partie du peuple mais jamais tout le peuple tout le temps ».
La volonté populaire est irrésistible, quand un peuple déçu, désespéré et affamé se débride, il faut avoir peur des conséquences souvent néfastes. Petit à petit le désamour de la junte est grandissant dans le cœur des populations guinéennes qui n’hésiteront pas un jour de se lancer à la conquête de leur bonheur. Ni le CMRN, ni le CNDD n’avait entrepris une telle vague d’opérations maléfiques pour le pays, les réactions populaires sont le plus souvent imprévisibles.

Celui qui se croit très fort perd toujours par cette force qui risque de se retourner contre lui, le cas sénégalais en est une évidence !

Par Famany Condé, journaliste